Les soldes ont à peine commencé qu’une deuxième vague, plus violente encore, envahit nos écrans connectés et les panneaux publicitaires de nos villes. Les niveaux de remise s’affolent, jusqu’à -70%, -80% parfois. Certains opérateurs de tourisme profitent de ces instants privilégiés pour transformer leurs traditionnelles Offres Spéciales en « Soldes », que l’on retrouve hiver comme été. Bonne ou mauvaise idée ?

Les soldes sont du destockage de masse sur des invendus. Un processus très encadré par la loi, dont les dates sont fixées à l’avance par les préfets (hors soldes flottantes), à des moments bien précis deux fois dans l’année et pour une durée limitée. Avec possibilité de vente à perte.

Les Offres Spéciales dans l’industrie du tourisme n’obéissent pas aux mêmes principes. D’abord parce qu’il serait catastrophique d’annoncer les périodes de validité d’une Offre Spéciale à l’avance : les clients, à l’instar de ce qui se pratique dans le marché de l’habillement, attendraient l’Offre Spéciale pour réserver leur séjour entraînant à la fois un ralentissement du rythme des ventes avant la parution de l’Offre, et une dilution certaine de revenu.

Une récente étude du CREDOC parue en 2012 montre que 60% des français attendent les soldes pour leurs achats vestimentaires. Là où certains y voient une période génératrice de ventes supplémentaires, le Revenue Manager y verrait plutôt un déplacement de demande. Et une dilution de revenu.

Dans l’industrie du tourisme, les processus de décision concernant les Offres Spéciales sont malheureusement souvent calqués sur ceux de la mode.

On voit l’Offre Spéciale comme un mécanisme de destockage pour remplir des chambres vides ou des sièges d’avions inoccupés. C’est, à mon sens, un mauvais calcul.

D’abord parce que le revenu optimal n’est quasiment jamais atteint avec 100% d’occupation. La baisse tarifaire nécessaire pour atteindre un remplissage maximum se fait souvent au prix d’une perte importante de revenu :

Cela peut paraître contre-intuitif, mais il est généralement plus intéressant de laisser quelques chambres vides plutôt que d’aller chercher les derniers points d’occupation en baissant les prix. Car le remède est souvent pire que le mal.

Ensuite parce qu’une Offre Spéciale est rarement décidée pour de bonnes raisons : le taux d’occupation est souvent jugé trop bas parce qu’il est comparé au budget ou à l’année passée. C’est le facteur déclenchant principal des Offres Spéciales. Or, un Client va répondre favorablement à une Offre Spéciale si elle est intéressante pour lui, indépendamment de l’avance ou du retard par rapport à un budget ou à une référence N-1 qu’il ne connaît même pas, et dont il se moque bien.

De mon point de vue, il existe de 4 situations qui peuvent constituer de bons facteurs déclenchants pour lancer une Offre Spéciale :

1. Matcher un concurrent : en défensif donc. La réponse doit être rapide pour montrer au concurrent que l’on suit ses actions, et que l’on est en mesure de riposter.

2. Communiquer : une offre spéciale peut être l’occasion d’accompagner une prise de parole. Le but n’est pas de générer le maximum de ventes à court terme, mais de faire connaître la marque et de développer sa notoriété, notamment sur un marché où l’enseigne est peu connue.

3. Animer le marché : là aussi sans forcément compter sur un gros volume de ventes. Les équipes commerciales peuvent avoir besoin d’une Offre Spéciale pour dynamiser leur réseau et leurs partenaires.

4. Générer du volume : on y vient enfin. Il s’agit du cas le plus répandu : générer du volume additionnel, en quantité suffisante pour que ce volume compense la baisse de prix.

Ensuite, une fois qu’elle est décidée, l’offre spéciale doit suivre les principes suivants :

1. Si le but est de générer du volume additionnel, il faudra s’assurer que l’augmentation de volume fera plus que compenser la dilution et la cannibalisation. Et même significativement plus car à Chiffre d’Affaire constant, faire plus de volume induit des coûts variables généralement peu pris en compte (ménage, électricité, travail de back office en paramétrage de l’offre, coût de communication, etc.).

2. Les analyses doivent être réalisées pour estimer quel volume est habituellement généré sans Offre Spéciale sur un périmètre comparable (en termes de période de vente et de période de séjour). Simuler une baisse tarifaire permettra d’estimer le volume cible qui permettra de compenser la baisse de prix et servira de base pour se donner un objectif de ventes. L’habillage de l’Offre Spéciale (remise en valeur, en pourcentage, prix barré, nuit gratuite…) peut être différente selon le type de client, le positionnement de la marque, le canal de vente et dépend des spécificités de chaque marché.

3. Une contre-partie doit être demandée si l’Offre Spéciale est étendue à tous les partenaires de distribution : volume minimum attendu, communication dédiée, newsletter, etc.

4. Enfin, même s’il est trop rare de prendre le temps de mesurer la performance des Offres lancées, ces retours d’expérience permettent d’apprendre sur le comportement client et d’identifier quels sont les mécanismes à renouveler et ceux à oublier. La plupart des opérateurs de tourisme sont dans l’action et ne mesurent pas leurs actions passées, renouvelant leurs erreurs qui entrainent des retards sur le chiffre d’affaires qui déclenchent de nouvelles offres, qui…

Les soldes sont industrielles, mécaniques, récurrentes. Les Offres Spéciales sont en train de suivre la même logique, alimentant sans cesse la machine à perdre.

Elles devraient pourtant rester « spéciales », exceptionnelles et être travaillées avec rigueur et méthode car la plupart d’entre elles détruisent de la valeur.

Pascal Niffoi

Quelques définitions

Dilution : Client qui avait prévu de payer un produit au prix courant, et profite d’une offre spéciale pour s’y glisser et payer moins cher.

Cannibalisation : Client qui avait prévu de se réserver sur un séjour A au prix courant, et profite de l’offre spéciale sur le séjour B pour s’y glisser. L’entreprise ne génère pas de volume additionnel sur ce Client, il le déplace. En terme de revenu, les conséquences sont les mêmes que pour la dilution.

Induction : recrutement de nouveaux Clients grâce à l’offre spéciale. C’est le volume supplémentaire de ventes généré par l’Offre Spéciale.