S’il y a bien une question sur toutes les lèvres des Revenue Managers, c’est bien celle-ci : quelle est l’élasticité de ma demande au prix ?
Question que j’entends à peu près toutes les semaines. Que répondre ? Existe-t-il de bonnes réponses ? Et finalement, est-ce même une bonne question ?

LA NAÏVETÉ DES DÉBUTANTS

En général, plus une entreprise est mature en Revenue Management, moins elle se pose la question. Car plus elle est mature, plus elle a renoncé à y trouver une réponse. C’est le cas de beaucoup de compagnies aériennes qui font du RM avec 10 ans d’avance sur les autres secteurs de l’industrie, et qui savent bien que c’est peine perdue.

À l’inverse, des entreprises ou des industries naissantes en Revenue Management (salles de spectacle, parkings…) commencent souvent par là et nous interrogent sur le sujet : « je vais me mettre à faire du Yield, pouvez-vous me donner mon élasticité s’il vous plaît ? ».

Devant la naïveté de la question, on a presque envie de répondre : « Oui, oui, deux minutes, ça vient… ». Après avoir repris notre souffle, on amène gentiment notre interlocuteur à envisager une mise en place du Yield dans le bon ordre et en commençant par des choses simples.

Mais pourquoi diable est-ce si compliqué de mesurer l’élasticité ???

L’ÉLASTICITÉ ÉMIETTÉE

« L’élasticité de la demande au prix » en soi ne veut rien dire. Car il n’y a pas une seule demande, parfaitement uniforme et homogène, mais plutôt une multitude de demandes qui s’exprime différemment dans ses appétences et dans ses modes de réservation, dans ses motivations, ses choix, ses rapports au prix.

Il n’y a aucune raison que l’élasticité au prix soit la même pour une famille ou pour un sénior. Aucune raison qu’elle soit identique sur tous les canaux de vente : Call centers, web, TO, etc. Aucune raison non plus qu’elle soit la même à long terme ou à court terme, sur un pont de mai ou sur des vacances longues du mois d’août. Pas de raison qu’elle soit la même sur tous les produits, chambre standard ou suite luxueuse. Pas de raison qu’elle soit équivalente pour des Clients français ou espagnols ; sur Cannes ou Angoulême ; un Client « loisirs » ou un Client « affaires ».

Toutes ces variables (typologie du Client, destination, produit, délai de réservation, marché source…), ne sont évidemment pas indépendantes ce qui complexifie le problème.

Pour faire juste, il faudrait analyser la demande sur toutes les combinaisons de tous ces critères, ce qui réduit l’échantillon d’analyse au point d’émietter la pauvre élasticité que l’on était censé mesurer.

FACTEURS ENDOGÈNES ET EXOGÈNES

Bon, supposons que l’on y parvienne. On a alors identifié précisément une segmentation parfaite qui nous permette d’avoir un échantillon propre de données.

On commence par repérer la demande qui s’exprime habituellement sur un niveau de prix pour une segmentation donnée. On baisse le prix de 10% sur plusieurs occurrences par exemple et on regarde ce qui se passe. Évidemment, il ne se passe jamais la même chose…

Vous n’aurez pas le même impact :

Ça commence à faire beaucoup. Il faudrait figer un périmètre étanche, et considérer le problème « toutes choses étant égales par ailleurs », ce qui n’arrive évidemment jamais. Cela vous rappelle peut-être les cours de Chimie de Terminale où l’on raisonnait dans les CNTP (Conditions Normales de Températures et de Pression) que l’on ne retrouve qu’en labo. De là à mettre les Clients dans des éprouvettes….

AU FAIT, L’ÉLASTICITÉ POUR FAIRE QUOI ?

Poursuivons : imaginons que nous ayons trouvé la bonne segmentation, sur un périmètre étanche empêchant toute cannibalisation, et que les concurrents fassent toujours la même chose pour vous simplifier la vie. On se place dans les Conditions Normales de Températures et de Pression. Ça n’arrive jamais mais soyons fous.

Nous allons donc pouvoir enfin mesurer l’élasticité, qui est une valeur généralement négative dépendant de plusieurs variables (typologie de Client, pays source, délai de réservation, etc.). On note généralement l’élasticité e et on prend comme définition :

e = Δd/ Δp où Δd est une petite variation de demande et Δp est une petite variation de prix.

Un détail à ce stade de notre étude : la formule est vraie pour une petite variation de prix et une petite variation de demande. Quand on mesure des sauts tarifaires de 25%, ça ne tient plus. Mais bon, au point où on en est, on n’est pas à une approximation près…

Alors, alors, on en fait quoi de cette valeur ????
Si l’élasticité pour une famille espagnole qui se réserve au mois d’août 4 mois en avance, sur des chambres standards de l’hôtel du Bonheur à Cannes, en passant par son TO préféré, est de -1,8. On fait quoi ????

Il y a bien une formule qui donne le pourcentage de remise optimal pour une élasticité donnée (voir l’encadré en bas de l’article). On applique bêtement la formule pour la famille-espagnole-qui-réserve-au-mois-d’août-4-mois-en-avance-sur-des-chambres-standards-de-l’hôtel-du-Bonheur-en-passant-par-son-TO-préféré ? Et on réitère l’opération sur chaque combinaison de critères ?

Absurde. Inutilisable. Le niveau de segmentation requis, l’impact de la communication sur les prix, les effets exogènes, la difficulté de la mesure elle-même, l’utilisation opérationnelle de l’élasticité…

Tout cela rend l’élasticité concrètement impossible à encapsuler dans une formule, formule qui serait de toute façon inutilisable.

POUR EN FINIR AVEC L’ÉLASTICITÉ

Revenons à la raison. Il y a bien d’autres manières d’identifier s’il est opportun d’augmenter ou de baisser son prix. Par exemple avec des alertes simples basées sur une bonne vieille demande décontrainte et saisonnalisée. Sans connaître l’élasticité, mais avec un peu de bon sens et une bonne prévision.

Celui qui fera un jour une avancée significative sur le sujet aura évidemment le prix Nobel d’Économie. Car le sujet est extrêmement important bien au-delà du Yield dans un hôtel. Il y a bien quelques publications, du MIT par exemple, où vous verrez décrits des algorithmes, vous entendrez parler de frat 5, de Q-forecasting, de Marginal Revenue Transformation, de  modèles hybrides, etc. Très intéressants. Un peu technique, mais pas dénués de sens.

L’élasticité est un sujet de R&D, pas un sujet opérationnel, même si certains cabinets vous promettent l’étude magique moyennant quelques centaines de milliers d’euros.

Quoi ? Des cabinets délivrent ce genre d’étude ??? Je vois d’ici vos yeux briller. Vous êtes tentés. On ne sait jamais, ça peut marcher.

Je vous en supplie, renoncez. Mettez en place des mécaniques simples, robustes, étape par étape, sans vous brûler les ailes. Quand on fait du Yield c’est la tortue qui gagne, jamais le lièvre.

L’élasticité est une réalité, mais une réalité insaisissable. Le Graal du Revenue Manager.

On note e = Δd/ Δp où d est la demande et p le prix. Si P0  est le prix initial et D0 la demande initiale, on obtient :

CA(x) = P0 * D0*(1-x)(1-e x) avec x  = variation de prix (si mon prix varie de  x%, ma demande varie de e x%).

CA(x) est une équation du second degré qui atteint son maximum quand la dérivée s’annule. La dérivée de CA(x), notée CA’(x), est nulle quand la dérivée de

e x 2 – (e +1) x +1 = 0, c’est-à-dire quand x = (e+1)/2e

Par exemple, pour une élasticité de -2, la valeur de remise qui maximise le CA (sous réserve d’avoir la capacité disponible pour honorer la demande) est 25% (car x vaut ¼ si e vaut -2)