Le Revenue Management court-il à sa propre perte ?

Deux start-up Hopper et FlyR viennent de lever respectivement 60 millions d’euros et 8 millions de dollars pour prévoir le prix des billets d’avion.

Les deux fonctionnent globalement suivant le même principe : grâce à l’analyse des historiques de prix sur une route sélectionnée, des prix constatés au moment de la recherche et de l’attractivité, elles prédisent le prix des billets d’avion. Elles recommandent alors à l’internaute d’acheter dès à présent son billet ou d’attendre la baisse de son prix. Elles proposent aussi d’autres services comme une assurance « prix garanti ». Sous réserve de quelques euros l’internaute peut bloquer le prix du billet d’avion pendant une certaine durée (la différence étant au frais du site, si le prix monte).

Ces sites répondent à un vrai besoin. Aujourd’hui, le consommateur ne sait plus combien coûte un billet (à force de lui avoir dit “ça dépend” quand on voulait lui expliquer les vertus du Revenue Management). Il va donc passer un certain temps à étudier les prix, à comparer les différentes compagnies, les différents sites avant de réserver son vol (près de 6h d’après ces sites). Comme il a déjà vécu la situation d’avoir acheté un billet puis constaté une baisse des prix a posteriori, il ne veut plus revivre cette mauvaise expérience et ne veut plus avoir l’impression de se faire “arnaquer” en payant trop cher.

En fait, le consommateur a besoin d’être rassuré sur le fait qu’il ne va pas se faire avoir en payant un prix qui va baisser.

La mauvaise application du RM par les entreprises donne au consommateur le sentiment d’un risque de payer trop cher

Cette demande est tout à fait légitime et, nous Revenue Managers au sens large, avons engendré cette situation avec :

  • Des conditions générales de ventes complexes aux noms barbares : APEX (achat avant telle date), FLEX NO FLEX (billets modifiables avec ou sans pénalité), ONE WAY (billet simple sans aller-retour), SUNDAY RULE (qui impose une nuit du week-end entre l’aller et le retour), Prix négociés (pour les entreprises)… Ces conditions sont tellement complexes qu’un nouveau métier a vu le jour, le Revenue Integrity : ce dernier s’assure que les clients et agences de voyage vont bien respecter les règles.
  • De mauvaises prévisions de demande qui, parce que l’avion risque de ne pas partir plein, nous font déclencher des promos en dernière minute afin de vendre les dernières places à prix bradés.
  • De mauvais paramétrages initiaux : par manque de temps et/ou d’analyse, certains vols sont ouverts avec des prix trop élevés, ils sont réajustés à un moment du cycle de commercialisation, entrainant une baisse de prix.
  • Des erreurs de paramétrage des prix dans les systèmes : si les conditions générales de ventes sont complexes pour le client, elles le sont aussi pour les équipes en charge de les paramétrer, ce qui entraine des erreurs, des prix incohérents.
  • Des techniques d’optimisation justes d’un point de vue mathématique mais incompréhensibles pour le client. Un billet multi-tronçons peut être moins cher qu’un simple tronçon. Un exemple : Bordeaux-New York en passant par Paris, peut être moins cher que le seul vol Paris-New York, même heure même date ! D’un point de vue Segmentation Pricing, optimisation Revenue Management, cela se comprend, pas d’un point de vue client.
  • Des outils de Revenue Management tellement complexes qu’ils sont « inchallengeables », difficilement paramétrables et pilotables par un analyste lambda. Ce couple outil-analyste fait des erreurs et se retrouve à monter les prix pour les baisser ensuite.
  • Un pricing différencié par pays : pour soutenir un pays en crise, afin de maintenir les parts de marché, le même aller-retour peut être moins cher en fonction du lieu d’achat.
  • Un pricing différencié par point de vente : des billets moins chers sur des sites spécialisés que sur son propre site.
  • L’utilisation de l’IP Tracking pour augmenter les prix spécifiquement pour un internaute après avoir constaté qu’il s’intéressait à un vol en particulier.
  • L’arrivée des Low Cost qui a changé la perception du prix et amené les compagnies traditionnelles à revoir leurs prix à la baisse.

Bien sûr toutes les compagnies aériennes ne cumulent pas tous ces points mais cela crée dans la tête du consommateur cette angoisse : “vais-je payer trop cher ? Qui me garantit que je paye le juste prix ?”

Dès lors, pour répondre à cette question, des sites comparant les prix des billets d’avion se sont créés, amplifiant le phénomène de défiance vis-à-vis du prix. A force d’agiter le chiffon rouge du prix devant les yeux du consommateur, il ne se focalise plus que sur cela.

Le retour de manivelle pourrait coûter cher aux compagnies aériennes

Mais désormais, ces sites vous annoncent pouvoir prévoir la fluctuation du prix à la baisse. La conséquence est fâcheuse pour les compagnies aériennes :

  1. 1. Cela crée un intermédiaire de plus entre la compagnie et son client, et donc un manque à gagner (le site se rémunère ou se rémunèrera d’une manière ou d’une autre, empiétant sur le budget voyage du consommateur).
  2. 2. Cela rend plus complexe la fidélisation de sa clientèle : avant M. Dupond voyageait régulièrement avec la compagnie X, désormais il vérifie sur son site préféré si X est la moins chère et voyagera avec Y pour des questions de prix.
  3. 3. Cela permet à ces sites d’influencer l’acte d’achat du consommateur en lui suggérant d’attendre. La compagnie ne voyant pas les réservations venir, elle va “paniquer” et baisser fortement ses tarifs en dernière minute, validant ainsi l’hypothèse du site et donc la décision du consommateur d’avoir écouté ses conseils ; tandis que les compagnies perdent une visibilité précieuse sur le remplissage des vols.

Faire plus simple pour gagner plus

Alors que :

  • Un pricing ascendant toujours respecté (pas de baisse de prix).
  • Des conditions générales de ventes simples, faciles à comprendre et à appliquer.
  • Une véritable parité tarifaire (pour un vol donné à un instant t, le même prix sur tous les sites), ou si elle était différenciée, le serait en faveur du site de la compagnie et pas de l’intermédiaire.
  • Des outils RM compris par les analystes et parfaitement paramétrés.
  • L’arrêt de l’IP Tracking.
  • Une analyse des remplissages des vols très en amont au lieu de se concentrer sur le court terme, pour ajuster au plus tôt les prix à la demande.

Entraineraient le message simple suivant : “pour ce vol sur notre compagnie, vous ne trouverez jamais moins cher ailleurs. Si vous n’avez plus de doutes quant à vos dates de voyage, achetez maintenant. Vous ne trouverez pas moins cher plus tard.” Ainsi on re-fidélise les clients et on limite l’influence de ces intermédiaires.

Que l’aérien fasse vivre une multitude d’acteurs (distribution numérique, sous-traitance, etc.) et que les compagnies aériennes partagent ainsi le revenu généré par les besoins de voyager des consommateurs, cela me semble normal ; les compagnies ne peuvent maîtriser tous les métiers. En revanche que des entreprises fleurissent sur des erreurs de stratégie Prix et aient ainsi un impact financier négatif sur les compagnies aériennes, cela me semble beaucoup plus discutable.

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And what if the most simplistic yet widespread definition of Revenue Management were the source of bad practices and constituted one of the major obstacles to the implementation of effective RM strategies?